Alors qu’un livre, par essence, est un lieu vers lequel on revient, à différents âges de la vie, les « nouveautés » et « l’actualité littéraire » prennent une grande place dans la vie littéraire, en librairie, dans les médias, salons, festivals. C’est une très bonne chose, puisque cela traduit la vitalité de la littérature contemporaine, et pourtant, une bonne partie de la littérature contemporaine en souffre. En effet, un livre qui n’a pas obtenu de suite un grand lectorat est vite retiré des tables des libraires et, même s’il continue à se vendre bon an mal an au gré des commandes de clients, il finira la plupart du temps par être « épuisé ». Beaucoup de livres sont épuisés matériellement alors qu’ils ne sont pas épuisés spirituellement ! Il pourraient rencontrer des lecteurs encore, ouvrir des chemins neuronaux par la force de leurs phrases, éveiller des idées, susciter des projets de voyage…
Il faut dire qu’il y a tant de livres, qui sortent, sans cesse ! Deux cents par jour environ en France. Il faut dire aussi que le système des offices, qui a ses qualités, inonde les libraires de cartons que celui-ci doit renvoyer aux distributeurs lorsqu’il veut faire place à des nouveautés. Très rares sont les librairies qui, fonctionnant au compte ferme, achètent comptant, ne souhaitent pas particulièrement user du droit de retour et vendent les livres qu’elles ont choisis, assumant du coup leurs erreurs commerciales. Car ces commerces fragiles ne survivent dans ces conditions que s’ils connaissent un bon équilibre entre leur loyer, leurs impôts et la confiance totale de clients assidus et acceptant de se laisser guider vers l’inconnu.
En tant que maison d’édition auto-diffusée et auto-distribuée, la Maison de négoce littéraire Malo Quirvane a un très faible accès aux tables des librairies. Il faut nous chercher pour nous trouver. Nous ne surgissons pas souvent au détour d’un étalage, et lorsque cela arrive, c’est toujours le fruit agréable d’une volonté particulière d’un libraire curieux. Et surtout, il nous faut bien plus de quinze jours pour creuser les premiers mètres du sillon d’un livre. C’est notre très grande faiblesse commerciale et c’est aussi notre très grande force morale, car n’ayant pas de force de frappe, nous avons en quelque sorte renoncé au principe de la nouveauté comme principale source de visibilité et de trésorerie. Chaque livre est une nouveauté à mettre en avant même s’il est ancien, cela ferme des grandes portes mais… cela ouvre des petites portes cachées, secrètes…
Et notre objectif n’est pas de nous insérer complètement dans le système tel qu’il fonctionne, c’est-à-dire assis sur le fond des classiques et addict à la rotation fulgurante des nouveautés, mais de nous insérer dans ce système tel que nous fonctionnons, c’est-à-dire à l’intemporalité, ce champagne aux bulles perpétuelles.