Ce soir, je pense à mon vieil ami Malo Quirvane. Moi qui ai grandi sur le boulevard du Montparnasse, étonnée par la laide banalité des jours, par le passage incessant des êtres devant la grille de l’immeuble, par les clochards qui, chaque année, mouraient à terre dans les grands froids, par l’absence de rigueur vestimentaire et langagière de certains des adultes qui m’entouraient, que j’imitais. Lui, qui a grandi en Bretagne, élevé par des êtres sévères et silencieux, lui qui abattait des arbres avec ses bras et que l’idée de changer de ligne de métro à la station Saint-Lazare terrorisait.
Ce soir, c’est le dernier jour sans couvre-feu. Ce mot de couvre-feu que j’avais lu dans les livres de guerre et romans historiques, voici qu’il s’impose dans ma vie, c’est comme un élément fantastique qui s’immisce dans mes jours, dans nos jours.
Vers cinq heures de l’après-midi, un enseignant d’histoire-géographie a été décapité, suite à une cabale musulmane contre lui, parce qu’il avait, lors d’un cours sur la liberté d’expression, montré les caricatures du journal Charlie Hebdo, caricatures sans élégance, sans intelligence, à mon humble à avis, et qui avaient déjà été à l’origine d’un bain de sang. L’enseignant avait donné la permission à ceux qui le souhaitaient de baisser les yeux, pour éviter d’être choqués, ce qui est étrange : au lieu de représenter l’autorité, il se plie devant elle, et par là-même, la désigne. Mais l’autorité nouvelle, devant laquelle les juges (au mépris de leur métier), les féministes (au mépris de leur cause), les politiques (au mépris de leur devoir) se couchent, ne lui a pas pardonné l’essence même du cours. Et donc cet homme est mort devant le collège dans lequel il enseignait.
Mais il n’est pas le seul mort tué par l’Islam conquérant sur le sol français de ces dernières années, loin s’en faut. L’islam conquérant tue, persiste et signe.
Par ailleurs, le sentiment victimaire se transforme vite en actions funestes et sème la mort et la désolation, partout dans l’hexagone français. Ces morts-là ne sont pas comptabilisés par les instances officielles ou par les médias, parce que nous serions, alors, obligés de regarder en face ce qui est écrit dans les guides touristiques chinois sur la France : la sujétion des Français, leur ensevelissement sous des abondances de reproches, de rapines, de haines.
Dans les dîners en ville, ces sujets, il ne faut pas les aborder. Ils sont trop sensibles, trop propices à l’opprobre.
C’est ce sentiment d’indicible qui nous a poussés à publier PORNO, de X. Ce livre sonde l’état d’une société dans laquelle tout ce qui dérange ne doit pas être dit. Alors des bordels s’ouvrent, plus ou moins clandestins, pour aller crier devant un prostitué de la langue ce qu’on ne peut murmurer, même avec ses proches.
Ce soir, je pense à mon vieil ami Malo Quirvane. La mère de Malo, on le sait de source sûre, était trismomique ; il se souvenait d’elle avec amour et il aurait sûrement souffert, sans oser s’en ouvrir aux autres, de la « loi de bioéthique » de 2020 : un scandale fracassant qui se heurte contre la ouate silencieuse du monde saisi d’impassibilité.
Cette impassibilité nous immobilise, pourquoi ? Parce que nous sommes des individus divisés, humiliés, ridiculisés, habitués peu à peu, comme les rats de laboratoire, à comprendre que nos traditions, nos instincts, nos pensées, nos paroles, nos gestes, nos actions, ne feront que se briser sur le mur de l’impossible.
Certaines sociétés ressemblent à des mouroirs de l’âme, à des fermoirs de sensibilité, à des empoisonnement par le chlore du désespoir.
Le désespoir, c’est savoir que rien de bon ne naîtra de nos efforts.
L’espérance, c’est voir que rien de bon ne peut naître de nos efforts, et, pourtant, commencer à prier.
De la prière, peu à peu, naissent le rire, la lecture, voici la vie qui revient. Une vie faible et cachée, mais une vie vibrante.
C’est cette vie qui gagnera, cette vie de l’Europe invaincue, la seule que nous, Européens, puissions aimer, la seule que vous, frères et sœurs d’ailleurs, pourrez jamais aimer.
Alors ce soir, Malo Quirvane, je veux te dire : merci d’avoir cultivé la terre et la littérature. Toi qui disais : « Il faut allumer des cierges dans la nuit ».